Thomas COURBE |
Directeur général des entreprises |
Responsable du programme n° 193 : Recherche spatiale |
La France poursuit une politique ambitieuse qui en fait une puissance spatiale de premier rang. Le programme « Recherche spatiale » est le principal vecteur de financement de la politique spatiale française. Il a pour finalité d’assurer à la France et à l’Europe la maîtrise des technologies et des systèmes spatiaux nécessaires pour faire face aux enjeux d’autonomie stratégique et de sécurité, de développement économique, de recherche, d’environnement ou encore d’aménagement du territoire qui se posent ou sont susceptibles de se poser à elles. Notre société et notre économie sont en effet de plus en plus dépendantes des services rendus par des systèmes spatiaux, qu’il s’agisse de nous positionner, de communiquer, d’observer ou de comprendre les évolutions du climat.
Le programme 193 « Recherche Spatiale » s’inscrit dans la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) : il finance d’une part le programme multilatéral du CNES, et d’autre part les contributions françaises à l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et à l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (Eumetsat).
L’année 2022 a été marquée par des événements nombreux dont les effets seront durables sur la filière spatiale française. Du point de vue de la coopération internationale d’abord : la France a accueilli au deuxième semestre le 73e congrès astronautique international, réunissant le plus de délégués depuis la création du congrès, ainsi que le Conseil ministériel de l’agence spatiale européenne (CMIN) lors duquel les États européens se sont engagés sur un montant record de financements des programmes de l’agence. La France a également renforcé ses relations bilatérales avec ses principaux partenaires, au premier rang desquels les États-Unis, par un dialogue stratégique dont le premier volet s’est tenu à Paris en novembre et par la signature par la France des accords Artémis. En termes de souveraineté ensuite, l’invasion russe de l’Ukraine a à la fois réduit l’autonomie d’accès à l’espace de l’Europe mais également accéléré les prises de conscience de l’intérêt stratégique de l’espace, la constellation européenne de connectivité sécurisée (IRIS²) portant l’ambition d’une autonomie renforcée de l’UE dans le domaine. Enfin, en termes de préparation du futur, les premiers projets lauréats du plan d’investissement France 2030 ont été sélectionnés, dans les domaines de l’accès à l’espace permettant les premiers essais à feu de moteurs de micro-lanceurs, la surveillance de l’espace ou des services en orbite. 26 projets bénéficieront ainsi de 120 millions d’euros.
La CMIN conclut avec succès plusieurs mois de préparation et planifie les priorités et les programmes des années à venir. Une enveloppe exceptionnelle de 16,9 milliards d’euros a été décidée par les États membres, les enjeux liés au climat et à la souveraineté ayant guidé les investissements. La France s’est engagée à hauteur de 3,25 milliards d’euros pour des programmes qui se dérouleront jusqu’à la fin de la décennie, en hausse de plus de 20 % par rapport à 2019, dont 300 millions d’euros pour le développement de la constellation européenne. Ces engagements s’inscrivent plus largement dans les ambitions spatiales françaises, la Première ministre ayant annoncé lors de l’IAC (« International astronautical congress ») que la France y consacrerait 9 milliards d’euros sur les 3 prochaines années (+25 % par rapport au précédent triennal). C’est également lors de la CMIN que la nouvelle promotion d’astronautes européens a été présentée : Sophie Adenot rejoint Thomas Pesquet dans le corps des astronautes de carrière et Arnaud Prost dans le corps de réserve.
Après le soixantième anniversaire du CNES en 2021, qui s’était accompagné de la nomination d’un nouveau président, 2022 a été l’année de la conclusion d’un nouveau Contrat d’Objectifs et de Performance « Nouveaux Espaces » pour la période 2022-2025, signé le 6 octobre par les ministres de tutelle. Le Contrat d’objectifs et de performance (COP) s’inscrit dans la dynamique d’évolution du secteur spatial et des orientations voulues par l’État : une ambition renouvelée de la politique spatiale fixée par le Président de la République lors de son discours à Toulouse en février dernier, le renforcement de la politique industrielle, l’ouverture aux acteurs émergents ainsi qu’une programmation plus agile. L’État a apporté au CNES les moyens prévus par la loi de programmation de la recherche pour mener à bien ses missions. Ces orientations se traduisent par quatre piliers pour la conduite du CNES : contribuer au développement du secteur spatial comme vecteur de croissance économique, en favorisant la compétitivité industrielle et l’émergence d’un nouvel écosystème ; maintenir et développer l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe ; entretenir l’excellence scientifique du secteur spatial français et amplifier son rayonnement ; enfin rester à l’avant-garde du développement durable du spatial.
Le CNES a été au cœur de la mise en œuvre de la politique spatiale en 2022, qu’il s’agisse du volet spatial de France Relance ‑91 projets ont été soutenus en moins de 18 mois, portés par 116 entreprises, dont plus de 70 % de PME et startups, pour un montant total de subvention de 365 M€ via le programme 363 « Compétitivité » sur la durée du plan de relance -, des premiers appels d’offres de France 2030, dont l’agence est opérateur pour les soutiens en commande publique, ou encore durant la présidence française du Conseil de l’UE pour apporter à l’État expertise et appui à la négociation, ainsi qu’en préparation de la CMIN afin de proposer les programmes prioritaires. En 2022, le CNES en lien avec ses tutelles a contribué à faire évoluer la loi relative aux opérations spatiales, pour, dans un premier temps, garantir la protection des intérêts de la défense nationale. Modifiés dans le cadre d’une ordonnance prise sur le fondement de la Loi de programmation de la recherche, les textes ont été publiés début 2022 pour une mise en application à partir du 1er janvier 2023. Dans le même temps, les services techniques du CNES ont entamé un processus de mise à jour de la réglementation technique.
L’observatoire du spatial, au CNES, recense 27 opérations de financement des acteurs New Space pour un total de 366 M€ de levées de fonds en 2022. Outre l’accès au financement, les initiatives d’accompagnement à l’émergence de l’écosystème français se densifient, avec entre autres le déploiement de ConnectbyCNES. L’accélérateur franco-allemand Spacefounders a ainsi accompagné une deuxième promotion et envisage de s’élargir à de nouveaux pays partenaires.
L’accès à l’espace européen a connu succès et difficultés en 2022. D’un côté, le vol inaugural de Vega C, le lancement de MTG pour Eumetsat par Ariane 5, les essais à feu réussis de l’étage supérieur d’Ariane 6 à Lampoldshausen ou encore le financement des programmes de lanceurs lors de la CMIN (la France s’est engagée à hauteur de 975 millions d’euros) témoignent de l’excellence et de l’ambition européenne. Cependant les fragilités de l’accès à l’espace européen ont été mises en lumière par la suspension des lancements de Soyouz depuis le Centre Spatial Guyanais, l’échec du premier vol commercial de Vega C ainsi que les retards accumulés d’Ariane 6.
Dans le domaine des télécommunications spatiales, l’industrie française a encore une fois fait la démonstration de son leadership en remportant six des huit appels d’offres ouverts de satellites géostationnaires. C’est notamment le fruit des efforts menés par le CNES depuis plus de 10 ans pour développer les nouvelles filières nationales de satellites électriques et concevoir des charges utiles numériques à flexibilité d’usage accrue et toujours plus puissantes – Eutelsat Konnect VHTS lancé cette année par Ariane 5 est ainsi le satcom le plus puissant fabriqué en Europe. Toutefois, la transformation de l’infrastructure spatiale nécessite de prendre le virage des constellations. C’est le sens de la fusion annoncée entre Eutelsat et Oneweb, constellation dont les premiers satellites ont été produits en France. C’est également l’une des priorités du volet spatial de France 2030, à travers notamment un appel à projets publié au second semestre.
Dans le domaine de l’observation de la Terre et de la coopération scientifique, le lancement de SWOT le 16 décembre dernier poursuit la coopération engagée avec les États-Unis depuis plus de 30 ans dans le domaine de l’altimétrie : les données sont très attendues par la communauté scientifique dans les domaines de l’hydrologie et de l’océanographie car ce satellite emporte une rupture technologique majeure avec l’interféromètre à large fauchée, KaRin conçu par le JPL1 avec la contribution du CNES pour la chaîne radio-fréquence. C’est également en décembre que la capsule Orion a amerri après un voyage de 25 jours et plus de 2 millions de kilomètres parcourus dont 2 survols de la Lune avec le module de service européen (ESM). Toujours dans le domaine de l’exploration, le rover émirati Rachid a été lancé vers la Lune en fin d’année avec à son bord les caméras françaises CASPEX et embarqué sur un module d’alunissage japonais. Enfin, après une mise en orbite parfaitement réussie par Ariane 5 fin 2021, le télescope James Webb, dont le CNES fournit un instrument de détection infrarouge, a délivré des premières images très utiles pour la recherche scientifique.
Remarque : les prévisions des indicateurs de performance pour l’année 2023 et suivantes présentées dans le volet performance ont été établies avant la crise ukrainienne et les sanctions envers la Russie qui impactent fortement la filière spatiale (arrêt des lancements Soyouz depuis Kourou, reports de missions comme Exomars, fournisseurs d’équipements satellitaires – ex. moteurs électriques - alternatifs à identifier...). Il conviendra donc d’analyser ces cibles avec prudence.
1 Jet Propulsion Laboratory (Laboratoire de recherche sur la propulsion par réaction)
Récapitulation des objectifs et des indicateurs de performance
Objectif 1 : Intensifier le rayonnement international de la recherche et de la technologie spatiales françaises
Indicateur 1.1 : Production scientifique des opérateurs du programme
Indicateur 1.2 : Chiffre d'affaires à l'export de l'industrie spatiale française rapporté aux investissements des cinq dernières années
Objectif 2 : Garantir à la France et à l'Europe un accès à l'espace libre, compétitif et fiable
Indicateur 2.1 : Part du marché « ouvert » des lancements de satellites prise par Arianespace
Indicateur 2.2 : Coût moyen du lancement de satellites par le lanceur Ariane 5
Objectif 3 : Maîtriser les technologies et les coûts dans le domaine spatial
Indicateur 3.1 : Tenue des coûts, des délais et des performances pour les 10 projets phares du CNES
Objectif 4 : Intensifier les efforts de valorisation de la recherche spatiale dans le but de répondre aux attentes de la société
Indicateur 4.1 : Nombre d'instruments spatiaux développés ou co-développés par la France utilisés à des fins applicatives
Objectif 5 : Parfaire l'intégration européenne de la recherche spatiale française
Indicateur 5.1 : Taux de présence des projets européens dans les projets avec une participation financière française