La direction du Budget, acteur majeur de la budgétisation verte
Le budget vert met sur la table la complexité de la décision publique
La direction du Budget est un acteur majeur du pilotage du budget vert depuis sa première édition
Alexandre GROSSE adjoint de la directrice du Budget, chef de service, présente pour Acteurs publics, dans son édition de mars 2023, les grands principes du budget vert. Il détaille les objectifs alloués à cet instrument, nouveau, du pilotage des politiques publiques, et précise les principaux enjeux, pour 2023, de la budgétisation verte de l'action publique des Finances et de la Relance depuis le 23 août 2021. |
Quels éléments ont guidé le choix de créer le "budget vert" ?
Il est intéressant de revenir au contexte de la création du budget vert. Il est issu d'une initiative conjointe de l'OCDE et du gouvernement français, fin 2017, à l'occasion du « One planet summit » de Paris, initiative ensuite soutenue par notre Parlement. Le contexte économique et social de 2018-2019 a ensuite conforté l'intérêt d'un tel outil et d'une grande transparence sur l'utilisation des ressources environnementales, pour rendre plus visibles et lisibles les actions du budget de l’État au bénéfice des politiques environnementales. Trois éditions du budget vert de l’État ont été présentées depuis le premier, joint au projet de loi de finances (PLF) pour 2021. L'intérêt du budget vert est encore plus net aujourd’hui, alors que la politique budgétaire est appelée à être mobilisée au bénéfice des transformations et la planification écologiques, de manière à les mesurer et surtout à les mener efficacement. Dans ce cadre, le budget vert apparaît comme une composante centrale d’un nouvel arsenal d'instruments de politiques publiques dont nous avons besoin pour évaluer, programmer et planifier les politiques publiques à impact environnemental.
Et il y a le contexte actuel de crise énergétique qui ne manquera sans doute pas d'être abordé dans le prochain budget vert…
Nous avions déjà directement utilisé le budget vert pour construire le plan de relance en 2020. Le prochain budget vert va en effet rendre compte des mesures budgétaires mises en place en cours d’année 2022 pour soutenir les particuliers et les entreprises face à la forte augmentation des coûts de l'énergie, comme par exemple les boucliers tarifaires ou les remises sur les prix des carburants. Ces réponses étaient nécessaires à court terme. Il n’en demeure pas moins qu’au sens du budget vert, elles ne sont pour la plupart pas favorables à l'environnement, et cotées comme défavorables ou brunes. Parallèlement, les budgets verts 2022 et 2023 voient augmenter des crédits d’investissements favorables à l’environnement, par exemple grâce au plan « France 2030 », ou encore en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Au global, malgré ces aides ponctuelles, les dépenses favorables, ou « vertes », restent nettement supérieures aux « brunes » en 2022 et en 2023.
L'Etat et ses gestionnaires étaient-ils assez matures pour disposer d'un tel outil ? La prise en compte de la transition écologique dans la gestion publique représente-t-elle un changement culturel ?
Tous les pays et la plupart de nos concitoyens se posent les mêmes questions. La prise de conscience des problématiques environnementales est donc la même partout, et les gestionnaires publics sont en première ligne. Pour mener à bien, avant d’autres pays, le projet du budget vert, la France disposait d'un atout : la manière dont le budget de l’État est structuré et présenté depuis la LOLF, avec beaucoup d'informations de qualité qui rendent compte de chacune des dépenses de l’État, par mission, par programme, par action. Pour reprendre votre terme, c’est une forme de « maturité » budgétaire. Tous les pays sont loin d'avoir une telle nomenclature budgétaire qui est devenue assez facilement intelligible.
Que contient précisément le "budget vert" ?
Le budget vert est la première partie du « Rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État », publié chaque année depuis 2020, joint au projet de loi de finances. Les deux autres parties sont également très riches: la deuxième présente l'ensemble des financements de la transition écologique ; la troisième est un focus sur la fiscalité environnementale. J’y signale une comparaison intéressante entre d’une part les dépenses favorables à l’environnement, et d’autre part le montant global des recettes environnementales affectées au budget de l’État : en PLF 2023, ces dépenses favorables sont supérieures à ces recettes.
Le budget vert est fondamentalement une classification, une cotation, de l’ensemble des dépenses budgétaires et fiscales de l'État, sur trois années, selon leur impact environnemental. En appliquant une méthodologie exposée dans le rapport de manière totalement transparente, ces dépenses y sont classées en quatre types selon leur impact : favorables, neutres, défavorables ou mixtes. Cette évaluation se fait au regard de chacun des six grands objectifs environnementaux : la lutte contre le changement climatique; l'adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels; la gestion de la ressource en eau; la transition vers l'économie circulaire, la gestion des déchets et la prévention des risques technologiques; la lutte contre les pollutions et, enfin, la préservation de la biodiversité et la protection des espaces naturels, agricoles et sylvicoles. Vous trouverez dans le rapport, à un niveau fin, la cotation de chacune des dépenses budgétaires et fiscales, et bien sûr les chiffres globaux pour l’ensemble du budget de l’État.
L'impact environnemental du fonctionnement "courant" de l'État y est également abordé…
Effectivement, on y trouve un focus particulier sur les dépenses de fonctionnement courant des services de l’État (dépenses d'électricité, de carburant, de transport, etc) exécutées les deux années précédentes. Cela permet ainsi de voir les dépenses de l'État favorables ou non à l'environnement. Près de 3 milliards d'euros de dépenses ont ainsi été cotées en 2021, dont plus de la moitié de dépenses défavorables. Ce recensement est très utile pour mesurer les progrès dans le temps de services publics plus sobres et exemplaires.
Le budget vert met l'accent sur la transparence mais qu'en est-il du volet performance
Le budget vert regroupe également l'ensemble des objectifs et indicateurs du budget de l'État qui se rapportent à la performance environnementale des politiques publiques. Par exemple : l'indicateur qui suit les émissions de CO2 des véhicules, ou encore l'indicateur sur l'utilisation des pesticides. Nous avons en effet tenu à ce que ce volet « performance de l'action publique » figure en bonne place dans le budget vert, pour marquer que l’augmentation des crédits n’est pas la seule, ni forcément la meilleure, manière d’accroître l’impact d’un dispositif. Renforcer son efficience a parfois plus d’impact.
Le budget vert ne permet-il pas aussi de combler certaines lacunes des études d'impact des projets de loi par exemple ?
Le budget vert est un outil d’évaluation qualitative, et relativement « macro », à l’échelle du budget de l’État ; il ne prétend pas être un travail d'évaluation scientifique. Pour autant, la méthode utilisée pour le budget vert, rigoureuse et transparente, pourrait venir enrichir les études d'impact réalisées ex ante, en tout cas leurs parties consacrées à l’impact budgétaire des mesures. Le budget vert pourrait également être utilisé à d'autres fins, par exemple dans le cadre des revues de dépenses qui viennent d'être lancées par le Gouvernement, comme grille d'analyse pour sélectionner des thèmes intéressants pour ces revues dans le but du « verdissement » du budget de l'État.
Comment se déroule la construction du budget vert ?
La construction du budget est par essence un travail interministériel ; celle du budget vert l'est donc également. Mais en plus de Bercy et des directions les plus impliquées aux côtés de la direction du Budget - la direction générale du Trésor et la direction de la législation fiscale -, le budget vert est véritablement une coproduction de deux ministères, puisque nous travaillons depuis le début avec le commissariat général du développement durable. Tout a débuté avec une mission conjointe de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) qui a permis de fixer les grandes lignes de la méthodologie. Ce projet illustre également que le rôle de la direction du Budget n’est pas que de maîtriser la dépense et les finances publiques : nous sommes aussi très mobilisés sur la qualité de la dépense et son efficience. Au-delà de nos deux ministères, il est désormais important que les autres ministères continuent à s'approprier ce budget vert lors de la construction et l’exécution de leurs budgets.
Quelle est la plus-value du budget vert ?
C’est clairement une manière nouvelle de présenter le budget de l’État, qui complète les nombreuses informations déjà disponibles. Un des apports du budget vert est de mettre sur la table la complexité et la difficulté de la décision publique. Il montre que des interventions publiques peuvent avoir des effets défavorables, sur l'environnement en l’occurrence, ce qui est rarement pointé aussi clairement. Ce qui ne veut pas dire que de telles dépenses publiques ne sont pas justifiées : elles existent car elles poursuivent d'autres objectifs de politiques publiques - comme par exemple l'aménagement équilibré du territoire, la sécurité routière ou encore le soutien au pouvoir d'achat. Prendre des décisions budgétaires c'est faire des choix et arbitrer parfois entre des objectifs en concurrence. Le budget vert met à ce titre vraiment en lumière cette complexité de la décision. Ces arbitrages valent même entre objectifs de politiques environnementales : par exemple, une dépense peut avoir un impact favorable sur le climat mais défavorable sur la biodiversité. Elle est alors classée comme « mixte ». C'est le cas notamment quand vous construisez de nouvelles lignes de chemin fer. Effectivement, cela permet de développer des transports collectifs électrifiés dégageant à terme moins d'émissions de gaz à effet de serre mais ce sont dans le même temps de nouvelles emprises foncières qui ne sont pas forcément bonnes pour la biodiversité.
Avec son volet "performance", la Lolf mettait également l'accent sur une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics. Y a-t-il ainsi une véritable prise de conscience de la part de ces gestionnaires sur les enjeux environnementaux ?
J’ai tendance à penser que les responsables et gestionnaires qui ont choisi le service public ont un sens aigu de l'intérêt général, une préoccupation pour la soutenabilité des politiques publiques, dans un sens à la fois budgétaire et environnemental. Cette population est donc déjà largement sensibilisée. Ce qui est sûr c'est que le budget vert a une vraie fonction pédagogique en apportant une information qui n'était pas toujours connue des gestionnaires publics, y compris sur des crédits qu’ils gèrent.
Le budget vert ne concerne que les dépenses du budget de l'État. Pourrait-il avoir vocation à s'étendre aux autres pans de la dépense publique et notamment aux dépenses des collectivités ?
Les collectivités territoriales représentent plus des deux tiers de l'investissement public. Des dépenses possiblement favorables ou défavorables à l'environnement sont donc entre leurs mains. Des collectivités se sont déjà engagées à leur échelle dans des démarches de construction de budgets verts, plus ou moins inspirées de ce que nous avons fait pour l’État. Peut-être travaillerons-nous demain avec les collectivités, et sur l'ensemble de la sphère publique.
Mais il nous faut déjà aller au bout de notre travail sur le budget de l'État. A court terme, notre priorité est que le budget vert soit utilisé tout au long de la préparation et de la négociation des prochains budgets de l’État, en éclairant la décision politique.
Propos recueillis par Bastien SCORDIA, pour Acteurs publics ; n°162 mars 2023