Repères

Paul HERMELIN

Paul HERMELIN, président-directeur-général de Capgemini

Le 03/12/2019

À l’honneur aujourd’hui de notre série « Portraits de budgétaires depuis 1919 », Paul HERMELIN, président-directeur-général de Capgemini.

Ancien élève de l’École polytechnique, et ancien élève de l’École nationale d’administration (promotion «Pierre MENDÈS FRANCE»), Paul HERMELIN intègre la direction du Budget en 1978. De 1982 à 1984, Paul HERMELIN devient chargé de mission auprès du ministre de l’Économie, des Finances et du Budget (Jacques DELORS).

De 1984 à 1985, il exerce également la fonction de chargé de mission auprès du ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports (Paul QUILÈS).

Paul HERMELIN retrouve la direction du Budget en 1986, en qualité de chef du bureau 3D (établissements publics à caractère administratif). De 1988 à 1991, il devient directeur de cabinet d’Hubert CURIEN, ministre de la Recherche et de la Technologie. De 1991 à 1993, Paul HERMELIN est directeur de cabinet Dominique STRAUSS-KAHN, ministre délégué à l’Industrie et au Commerce extérieur, puis ministre de l’Industrie et du Commerce. En 1993, Paul HERMELIN rejoint le groupe Capgemini Sogeti, devenu Capgemini, dont il devient, en 2012, président-directeur-général.

 

La direction du Budget : « Pour vous, c’est quoi être budgétaire ? »

Paul HERMELIN : « J’ai rejoint la direction du Budget en 1978, alors à Rivoli. Mon premier chef de bureau était Daniel BOUTON. J’étais son adjoint. J’avais choisi, à ma sortie de l’ENA, de rejoindre la direction, et plus particulièrement le bureau en charge des personnels civils et militaires, à la 2e sous-direction, ce qui a étonné ! Mais c’était pour travailler avec Daniel BOUTON, que j’appréciais beaucoup. Je fais partie de la génération de gauche qui a envahi les cabinets ministériels dans les années 80. Il faut imaginer que nous n’avions jamais connu l’alternance jusqu’à l’élection de François MITTERRAND. Il n’y avait pas eu d’alternance depuis près de 23 ans !

Après trois années en fonctions à la DB, je pars en cabinet ministériel, avec l’accord de Louis SCHWEITZER, pour travailler auprès de Jacques DELORS, nommé ministre de l’Économie et des Finances. Quand je quitte l’État pour rejoindre Capgemini, je comprends une chose, que l’on ne vit pas à la direction du Budget : les recettes, ainsi que les dépenses, sont intimement liées. Quand vous êtes en responsabilité dans une entreprise, et que vous coupez trop les dépenses, vous altérez la capacité à faire du chiffre d’affaires. Quand j’ai été nommé DG, le Groupe était en crise. Il comptait 58 000 personnes. J’ai dû en licencier 22 000 ! Puis j’ai dit Stop et on est reparti à l’attaque et aujourd’hui, l’entreprise compte 220 000 collaborateurs. Être budgétaire, c’est savoir instantanément « passer de la défense à l’attaque », et de « l’attaque à la défense ». Sans paraître trop caricatural, le budgétaire, en conférence budgétaire, disposait d’un attirail de « chantage » bien organisé. Et on en usait. Mais bien souvent on doit faire des propositions, l’intelligence budgétaire alors se déploie.

L’objectif est évidemment la « non dépense publique » ; on passe en permanence d’une dépense obtuse à des contre-propositions astucieuses. Il me semble néanmoins qu’au bout, il manque quand même cette interconnexion entre dépenses et recettes. Je garde le souvenir d’une direction à l’ambiance des plus sympathiques. Toutes mes années budgétaires se sont déroulées à Rivoli. J’adorais les Perspectives, il fallait de l’imagination. Ce mélange de défense obtuse et d’attaques imaginatives, on s’amusait bien et on avait des équipes formidables. Anecdote amusante, on décrivait les budgétaires comme des « moines-soldats », serviteurs de l’État, et on traitait nos collègues du Trésor de « poules de luxe », avec un peu de jalousie parce que eux ils partaient dans le privé avec un emploi bien rémunéré. »

La DB : « Quelle grande réforme, quelle politique publique à laquelle vous avez contribué vous laisse un souvenir marquant ? »

PH : « J’étais déjà en poste en cabinet ministériel. Un samedi matin, lors d’un échange avec un chef de bureau du Trésor, je me rends compte qu’il existe un fonds de dépôt de garantie de caisse d’épargne (FGRCE) jamais utilisé ; je l’ouvre donc. Le FGRCE était surdoté ; j’ai récupéré plusieurs milliards de francs. Un rapt. Les copains du Trésor étaient assis sur cette cagnotte. Ils étaient furieux ! Au printemps 1986, on se doute qu’on va perdre alors les élections législatives programmées. Le sous-directeur de synthèse à la direction du Budget est Daniel BOUTON. Je rentre de cabinet, je prends le bureau Culture et Audiovisuel et Daniel me dit Jack LANG a presque atteint 1% du budget de l’État. Nous arrivons à 0,96 %. Il me demande si je suis capable de baisser le budget de la Culture de 0,10% par an. Jacques CHIRAC devient alors Premier ministre, et Daniel BOUTON directeur de cabinet d’Alain JUPPÉ. On passe dès 1987 de 0,96 % à 0,86 % avec François LÉOTARD, comme  Ministre de la Culture, puis au budget pour 88 à 0,77 %.

Michel BOYON, directeur du cabinet de François LÉOTARD  propose à Daniel BOUTON de déjeuner.  Daniel m’appelle pour que je vienne au moment du dessert. Michel BOYON confie qu’il y a un socialiste qui en veut politiquement à François LÉOTARD. J’arrive à la fin de ce déjeuner, et Daniel me dit : « peux-tu réexpliquer le mandat que je t’ai donné ? » Je présente donc la stratégie budgétaire encouragée par le cabinet. Au final, en deux ans, on a fait baisser le budget de la Culture de près de 20 %. »

La DB : « Un de vos regrets, si c’était à refaire ? »

PH : « L’universalité budgétaire est une règle qui déconnecte trop les recettes et les dépenses.

J’aurais aimé initier un budget « Climat » mettant face-à-face toutes les recettes assises sur le CO2 et toutes les dépenses favorables à l’Environnement. Il faudrait aujourd’hui défendre l’idée d’une loi de finances Climatique. Comme il y a eu dans les années 1990 une discussion pour le PLFSS. La taxe carbone serait alors plus légitime.

Il faut rompre avec l’universalité pour les enjeux climatiques. Le compte d’affectation spéciale actuel ne suffit pas. Un « PLFC » serait des plus ambitieux et des plus utiles. »

La DB : « Votre talent insoupçonné, votre passion, une expérience de vie insolite ? »

PH : « J’ai investi sur l’Inde. Capgemini compte aujourd’hui plus de 100 000 personnes en Inde. Je suis devenu le représentant de l’État français en Inde. Je connais un grand nombre d’hommes politiques indiens. J’avais racheté une entreprise qui employait 120 personnes. Ça fait un sacré parcours ! Je suis un peu « l’indien du CAC 40 » ! Ce magnifique pays conjugue modernité et spiritualité. Et la littérature indienne est passionnante. »